Malgorzata est polonaise, elle est bibliothécaire à Varsovie… et lit beaucoup !
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« Il y a vraiment beaucoup d’auteurs polonais contemporains que j’apprécie. Joanna Bator en fait partie. Qu’y a-t-il de si particulier chez elle ? Elle a publié six livres et chacun d’eux est différent. Parmi eux on trouve des essais fascinants sur le Japon et des romans intéressants, comme un roman autobiographique, un roman policier ou une saga. Joanna Bator est créative et imprévisible. J’aime son style littéraire et son imagination, sa langue flexible – sophistiquée et poétique ou familière quand il le faut. “Piaskowa Gora” est mon livre préféré.
[traduit en français par Caroline Raszka-Dewez sous le titre Le Mont-de-sable, chez Noir sur blanc, 2014]
Le roman décrit la Pologne pendant l’ère communiste. Le Mont-de-sable -le gris et laid quartier des mineurs de charbon de la ville, plein de barres de béton – est l’arrière-plan de l’ histoire passionnante de gens qui ont décidé de changer leur vie. Ils quittent leurs villages pour les grands villes, emportant avec eux leurs coutumes et leurs comportements. Jadzia Chmura , son mari Stefan et leur fille Dominika sont les principaux personnages. L’auteur toutefois ne néglige pas leurs amis et connaissances, en ajoutant à l’intrigue des descriptions vivantes qui nous donnent le sentiment que nous les connaissons déjà très bien. Nous suivons les événements les plus significatifs de leur vie, les moments heureux comme les tragiques. Nous découvrons leurs secrets, leurs peurs, leurs rêves. C’est un livre qui parle de femmes fortes qui font face et surmontent les problèmes, comme Dominika qui lutte pour être acceptée et se faire sa place dans le monde. Il est question du courage que nous devons avoir pour vivre nos vies comme nous les souhaitons. « Le Mont-de-sable » est d’une écriture émouvante, parfois drôle, parfois amer. Parmi le large éventail de personnages nous pouvons nous retrouver ainsi que les fantômes du passé. La saga familiale continue avec “Chmurdalia” [pas encore traduit en français].
Il n’y a pas que la littérature polonaise qui m’intéresse. J’aime aussi lire des livres écrits par de bons auteurs, d’où qu’ils soient ou aient été, par exemple la Grande-Bretagne.
Doris Lessing a écrit de nombreux livres exceptionnels, mais Vaincue par la brousse fait partie des livres les plus émouvants que j’ai jamais lus. Il s’agit d’un drame intime sur le fait de jouer un rôle social plutôt que le sien, sur les rêves inaboutis, la solitude dans le mariage, l’aliénation sociale.
Si Mary n’avait pas entendu accidentellement l’opinion que son amie avait d’elle, elle n’aurait pas épousé Dick. Elle n’aurait pas abandonné sa vie heureuse et sans souci en ville et ne serait pas partie avec lui dans une ferme pauvre et brûlée par le soleil. C’est le début d’une fin tragique. Le roman se passe en Afrique du Sud sous la domination britannique et décrit les relations tendues fondées sur la haine et les préjudices entre la petite minorité blanche et la majorité noire. Doris Lessing est maîtresse dans l’art de créer de profonds portraits psychologiques de ses héros.
Majgull Axelsson est un autre auteur qui me tient à cœur et mérite d’être cité. Plusieurs de ses livres sont traduits en polonais et je les ai tous lus. La sorcière d’avril est particulièrement important pour moi car il s’agissait de ma première rencontre avec un auteur suédois et une découverte très personnelle.
« La sorcière d’avril » n’est pas un livre facile car il est centré sur les difficultés humaines comme l’enfance malheureuse, le rejet, le manque d’acceptation par la famille et l’amour. Quatre sœurs racontent leur histoire. L’une d’elle et la plus inhabituelle est handicapée et vit à l’hôpital Desirée. L’auteur la dote d’un don spécial, puissant, issu des légendes scandinaves et des contes de fée – la capacité de s’incarner dans différentes personnes ou animaux. Cette aptitude est inestimable et extrêmement utile dans ses tentatives pour trouver et entrer en contact avec ses sœurs.
Les livres de Majgull Axelsson ne laissent pas le lecteur indifférent, ils inspirent des réflexions complémentaires et restent en mémoire longtemps.
Je voudrais recommander aussi Paolo Giordano, un jeune écrivain italien et sa Solitude des nombres premiers. Un dernier roman triste, mais unique. Il montre comment les événements de l’enfance influencent notre future vie.
Alice et Mattia – deux parias ayant une douloureuse expérience passée – sont très semblables et proches l’un de l’autre mais incapables d’exprimer leurs sentiments et d’être ensemble. Ils rappellent les nombres premiers, qui sont soupçonneux et solitaires. Le nombre premier ne peut être divisé que par un et par lui-même. Je crois qu’avec cette habile comparaison Paolo Giordano exprime avec ingéniosité la solitude et l’incapacité qu’à l’être humain d’aimer et d’être aimé. J’ai dévoré ce livre. J’attends impatiemment le suivant.
Il y a tellement d’autres auteurs européens, parmi lesquels Eric-Emmanuel Schmitt en France, Carlos Ruiz-Zafon en Espagne, Kveta Legatova en République tchèque, dont les publications m’ont marquée. Je voudrais allonger la liste.
La littérature européenne a de nombreuses facettes. Elle est écrite dans différents lieux et différentes langues mais ce n’est pas ça qui la détermine. Sa variété est d’une grande valeur. Je crois que les bons livres contiennent toujours des valeurs universelles. Ce que nous en retirons et les émotions qu’ils nous évoquent, c’est une affaire très personnelle, comme les choix littéraires et le processus de la lecture. Carlos Ruiz Zafon, dans son célèbre livre L’ombre du vent dit que les livres sont comme des miroirs dans lesquels on ne voit que ce qu’on l’on a à l’intérieur de soi-même.»
Merci infiniment, Malgorzata.