En arrivant en tongs et en short, plutôt en mode « nature » après mon séjour sur les plages dalmates, je m’attendais bien à me sentir un peu décalée… mais rien ne me préparait au choc culturel que j’ai reçu en découvrant, en Italie, ces rues monumentales et austères, ces immeubles imposants.
A force de mer turquoise, j’avais fini par oublier que j’arrivais dans une ville de l’empire austro-hongrois (la 4ème, à l’époque, après Vienne, Budapest, et Prague, ça donne une idée).
Vous l’avez reconnue, bien-sûr, je parle de Trieste, parfois considérée comme la dernière ville du Nord-Est de l’Italie , ou comme la ville de l’extrême sud de l’Europe Centrale, ou bien comme la première ville de la nouvelle Europe élargie à l’Est. De mon point de vue, elle mérite tous ces qualificatifs à la fois : cité méridionale, elle l’est par ses ruelles dans la ville haute, son climat et sa végétation, capitale de la Mitteleuropa aussi et surtout, ne reniant pas son passé impérial !! Devenue italienne, puis allemande, puis libre, puis moitié italienne-moitié yougoslave, pour redevenir italienne, mais si proche, si proche des slovènes et des croates.
De ses frontières sans cesse remises en cause, du mélange ethnique et religieux, linguistique, elle a tiré une incroyable richesse intellectuelle, artistique, et bien entendu littéraire, motivation principale de ma visite.
Du café du matin (plus que n’importe où ailleurs en Italie, à Trieste, « il caffé » est une institution, grâce sans doute aux cafés Illy qui s’y sont installés) au Spritz du soir (récemment à l’honneur ici), récit d’une journée de promenade littéraire en pleine Mitteleuropa .
« Capo in b » (cappucino in bicchiere, pour le touriste fraîchement débarqué) donc, en arrivant, au Caffé San Marco, là où le poète Umberto Saba et Italo Svevo (Senilità, la Conscience de Zeno) rencontraient les irrédentistes et où se faisait la vie politique et intellectuelle au début du 20ème siècle.
Les jeux d’échecs sont toujours là, la vieille caisse enregistreuse aussi, de même que les moulures du plafond. J’ai vraiment l’impression d’être à Vienne, je m’attends à croiser Freud, Klimt ou Schnitzler, je n’arrive même pas à me figurer que je suis en Italie.
Un petit tour sur le port, là où commence le Mathias Sandorf de Jules Verne, puis longeant le magnifique front de mer (c’est Budapest au bord de l’Adriatique), cap sur le Canal Grande, dominé par la statue de Joyce. Car James Joyce est l’une des grandes fiertés de Trieste : c’est là qu’est né « Ulysse« , oeuvre majeure de la littérature du 20ème siècle.
Impossible en revanche de rattacher Boris Pahor, né à Trieste il y a 102 ans et toujours vivant à un lieu particulier dans la ville. Fuyant le fascisme qui s’empare de Trieste dans les années 20, il sera un écrivain slovène et entretient avec sa ville des relations ambivalentes. Ses romans relateront essentiellement sa lutte contre le nazisme et son expérience dans les camps.
M’éloignant de la ville pour une petite promenade sur le karst, j’ai rejoint ce plateau calcaire omniprésent dans les polars de Veit Heinichen. Veit Heinichen, au 21ème siècle, continue d’illustrer ce cosmopolitisme typique de Trieste : il est allemand, mais a choisi de vivre à Trieste. Il nous propose une autre image de sa ville, loin des cafés littéraires, des débats esthétiques et des combats patriotes : ses romans policiers nous parlent de la mafia locale, des trafics avec l’Albanie, bref d’une ville du 21ème siècle aux prises avec des problèmes politiques, sociaux, économiques… sans pour autant que s’efface le charme.
Si j’avais apprécié cet écrivain, j’aurais pu aussi pousser jusqu’au cimetière orthodoxe et me recueillir au mausolée de Paul Morand, dont les cendres reposent, avec celles de sa femme, dans ce cimetière triestin : lui aussi s’était rendu au charme de la ville.
Si j’en avais eu le temps, je serais aussi montée au château de Duino, là où Rainer Maria Rilke composa les Elégies de Duino.
Mais j’ai préféré prendre le -très très lent- tramway qui quitte le centre pour monter dans un dénivelé impressionnant sur les hauteurs d’Opicina. De là, j’ai contemplé cette ville, mélange d’architecture italienne et austro-hongroise, aux origines et aux langues métissées, creuset propice à la création.
Pour les uns, Trieste est juste la ville natale, pour d’autres un lieu de séjour et une source d’inspiration, pour d’autres encore, un objet de répulsion (Stendhal…). Quoi qu’il en soit, Trieste n’a laissé aucun génie littéraire indifférent.
Claudio Magris, cet humaniste natif de la ville n’a cessé de lui rendre hommage dans ses différents essais érudits et passionnants.
Comme je me l’étais promis, j’ai terminé ce pélerinage littéraire en dégustant un spritz (pas encore à la mode), sur l’immense et si bien nommée « Piazza d’ell’Unità », le coeur de Trieste.
Je repartirai avec tout plein de notes dans mon carnet de lectures et l’envie de me jeter à mon retour sur les romans de Pahor, de Svevo, sur les essais de Magris.
21 septembre 2016 à 15h44
Sans oublier Paolo Rumiz inspiré par cette ville sur la frontière dont il parle avec une telle nostalgie dans « Aux frontières de l’Europe ».
21 septembre 2016 à 15h52
Merci pour ce complément, en effet indispensable
Catchounette
19 décembre 2016 à 20h31
Trieste, une ville que j ai dėcouverte en visionant le documentaire de Christophe Derouet dont j adore l ecriture… je ne sais pas si vous le connaissez. Votre article ajoute à mon envie de decouvrir un jour cette ville qui ne semble pas repondre aux standards de l’italie touristique. Bien å vous.