Pour qui s’intéresse aux littératures européennes, les prix littéraires sont une précieuse ressource pour suivre les écritures contemporaines qui comptent. Nous vous avons récemment proposé un panorama des prix littéraires européens, aujourd’hui l’un d’entre eux, le Prix du livre européen, attire l’attention sur Robert Menasse, lauréat 2023 avec son roman « L’élargissement ».
Qui est Robert Menasse ?
Voici comment le présente son éditeur, Verdier : « Robert Menasse est né le 21 juin 1954 à Vienne où il vit actuellement. En 1980, il termine des études de lettres et de philosophie par une thèse de doctorat sur « Hermann Schürrer : le type du marginal littéraire ». Il part ensuite au Brésil où il séjourne de 1981 à 1988, comme assistant à l’université de São Paulo. Menasse se consacre exclusivement à l’écriture depuis 1988. Son œuvre est essentiellement constituée de romans et d’essais sur la culture autrichienne. Depuis 1997, il écrit également avec sa fille et sa femme des livres pour enfants. Très concerné par les développements politiques et culturels de son pays, il publie régulièrement ses points de vue dans la presse autrichienne et allemande. Honoré du prix national autrichien de l’essai en 1998, il en a reversé la dotation pour refonder un prix indépendant « Jean Améry » qui a été remis à l’essayiste autrichien Franz Schuh. »
Ce n’est pas uniquement un intérêt pour la « culture autrichienne » qui anime Robert Menasse, c’est plus largement vers l’Europe qu’il est tourné, en explorant par exemple le mythe de Don Juan, la réalité confuse de l’Europe centrale, la figure de Lady Di, dernière princesse de conte de fées, dans une pièce co-écrite avec son épouse, ou dans un essai en 2015 « Un messager pour l’Europe : plaidoyer contre les nationalismes », Prix du livre européen 2015 (Buchet/Chastel).
Une grande trilogie romanesque de l’Union européenne
L’écrivain, l’un des plus importants romanciers contemporains en langue allemande, est viennois d’origine mais a été bruxellois plusieurs années. Aux premières loges en quelque sorte pour raconter notre époque, il s’est saisi de la construction européenne pour en faire une matière romanesque, à la manière des grands romanciers du 19ème siècle. Traduit en français cette année chez Verdier, L’Elargissement est le deuxième tome d’une trilogie commencée en 2019 avec La Capitale (Verdier).
«La Capitale » bien sûr, c’était Bruxelles. Un cochon agressif se retrouve près de la place de la Bourse, un homme est tué par balle dans le même quartier, un homme qui travaille à la Commission européenne est témoin du bruit du coup de feu. Tous ces protagonistes participent à ce récit entremêlé où les personnages se croisent sans cesse. plongeait le lecteur au cœur de la Commission européenne, avec des personnages qui vivaient leurs idées, leurs amours, leurs réussites ou leurs échecs différemment que si cela avait été dans leur environnement national.
« L’Elargissement » nous fait voir l’Union européenne de l’extérieur. Histoire d’amour sur fond de géopolitique, le roman aborde les rapports de force entre l’Albanie – que Robert Menasse a largement explorée aussi – et l’Union Européenne : les négociations pour l’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne s’enlisent parce que le pays est musulman. Karl Auer, haut fonctionnaire en poste à Bruxelles, se rend à Tirana. Contre toutes attentes, il y tombe amoureux de Baia Muniq, une brillante juriste. Le gouvernement albanais travaille à améliorer l’image de son pays en rappelant que Skanderbeg, héros national albanais, était chrétien orthodoxe. Un casque du 15e s, un crâne de chèvre, du basket, un poète, encore des chèvres, un paquebot… il y a un côté tragi-comique dans cette histoire qui mêle l’amour et la politique pour notre plus grand plaisir.
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