Nous sommes toujours en janvier. Ma bonne résolution 2018 : toujours lire un polar en savourant des mets délicieux accompagnés d’un vin adéquat.
Dans un polar, l’enquêteur se débrouille toujours pour que son suspect passe à table : ce dernier doit avouer son crime. L’image culinaire de passer à table est intéressante. Surtout quand notre enquêteur est lui aussi un fin gourmet. Il suffit de se remémorer les bons petits plats de Mme Maigret…
Certains auteurs choisissent de placer simplement l’action de leur roman dans la cuisine. Dans « Cuisine sanglante », Minette Walters situe tout simplement l’assassinat sauvage d’une mère et de sa fille à la cuisine. Qui peut donc tuer dans un lieu si familier ?
Quelles raisons pourraient bien inciter un auteur de roman policier à transformer son enquêteur en gourmet ?
1-Tout enquêteur au solide appétit est un personnage sympathique et bon vivant
Le lecteur peut s’identifier à lui. Le commissaire Maigret se demande tous les soirs ce qu’il va manger en rentrant à la maison : quelle belle vision de la cuisine française entre la blanquette de veau et la tarte aux mirabelles…
2-Tout enquêteur est habitué à côtoyer la mort
Il peut s’affranchir du néant des situations rencontrées en appréciant la bonne cuisine : c’est tout simplement une façon d’apprécier la vie, de survivre et de réfuter la mort. Dans Chourmo (1996), le héros Fabio Montale de Jean-Claude Izzo, l’écrivain marseillais, l’explique.
3- Tout enquêteur est aussi un fin « limier »
Il accorde beaucoup d’importance aux odeurs : celle de la bonne cuisine mais aussi celle de la mort.
4- Tout enquêteur peut être le reflet de l’auteur qui apprécie lui aussi la bonne chère.
Georges Simenon décrivait ses plats préférés dans ses romans. Manuel Vázquez Montalbán était critique gastronomique. Patricia Cornwell a créé par passion pour l’art culinaire un enquêteur
Cuisine et polar ( et histoire) : un genre en soi ?
Il existe de nombreux ouvrages consacrés à la gastronomie de tel enquêteur ou auteur de romans policiers. Voici quelques titres de livres de recettes inspirés de romans policiers : Crèmes et Châtiments, la Sauce était presque parfaite, Alimentaire, mon cher Watson !, le Livre de cuisine de la Série Noire, les Recettes de Carvalho, Simenon et Maigret passent à table, etc. Dans « Brunetti passe à table », des extraits de romans montrent Brunetti, en famille, entre amis ou au restaurant, qui profite de repas et de verres réconfortants pour récupérer du stress et du dégoût de ses enquêtes.
Michèle Barrière, historienne, se bat pour réhabiliter les produits du terroir. L’idée lui vient alors d’assembler enquête policière, immersion historique dans une époque et découverte gastronomique : ainsi voit le jour le roman noir historique et gastronomique avec la parution en 2006, de « Meurtres à la pomme d’or » suivi en 2007 par « Natures mortes au Vatican ». Il faut suivre la dynastie Savoisy dans leurs aventures….
Jean-François Parot est connu pour les Enquêtes de Nicolas le Floch, commissaire au Chatelet. Dans le « Crime de l’hôtel Saint-Florentin », il est question de recettes et de denrées alimentaires de premier choix (p. 180-181)…
La cuisine, reflet d’une identité ?
Dans le « polar méditerranéen », appellation (presque) contrôlée pour les romans policiers dont l’action se situe en Europe du sud, la cuisine et la gastronomie font partie de l’art de vivre, de la dolce vita, face à des sociétés actuelles et leurs dérives. Pepe Carvalho, le personnage de Manuel Vázquez Montalbán , défend une gastronomie de la Méditerranée. Salvo Montalbano, le héros d’Andrea Camilleri, raffole des plats mitonnés par les femmes de la maison ou dans les restaurants traditionnels. Fabio Montale refoule la peur de la mort en mangeant et en buvant avec ses amis dans « la trilogie marseillaise » de Jean-Claude Izzo . Au cours de ses 17 enquêtes, l’inspecteur Brunetti, le héros de Dona Léon, dénonce les injustices vis-à-vis des immigrés et autres minorités plus ou moins visibles et transmet l’espoir de son auteur d’un savoir-vivre épicurien qui valoriserait la liberté et la solidarité, le plaisir et le souci d’autrui.
Et l’exotisme dans tout ceci ?
Dans « Immortels et paniers de Crabe » de Fan Tong, l’histoire commence avec un fabuleux festin d’anniversaire : langoustes, langues de mérous sautées, champignons parfumés à l’essence d’huitre, salade d’étoiles de mer au vin de Shaxing, crabes des neiges farcis aux raisins de Turfin, raisins de Turfin fourrés de plancton de la baie de Zhanjiang, plancton de Zhanjiang farcie de bile d’abalones … Le commissaire Wang rencontre Lao Mian, un cuisinier important et reconnu pour la soupe des dix mille ans, agrémentée d’un cervelle vive de jeune singe cuite dans le bouillon. Cette vision de cauchemar du jeune fils du commissaire déclenche l’enquête de notre commissaire qui va devoir fréquenter les cuisines.
Cette liste non exhaustive se veut une invitation à plonger dans la cuisine et le polar. Alors laissez-vous aller et apprécier la bonne cuisine avant d’aller lire le dernier polar qui vous a interpellé. Ma bonne résolution est peut-être ambitieuse … Bonne lecture et bon appétit !
Pour en savoir plus :
http://journals.openedition.org/ceb/6839
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