Fin 19è-début 20è siècle, alors que d’autres écrivains irlandais exaltent la vie champêtre et les paysages de l’ouest de l’Irlande dans une quête d’identité, Joyce parle de la rudesse de la vie urbaine à Dublin et se moque du mouvement du revivalisme. Il ne fait aucune référence au contexte historique et la lutte pour l’indépendance mais Ulysse a été composé à une époque où tout ce que l’on pouvait écrire en Irlande revêtait une intensité particulière. James Joyce, le cosmopolite, se détache de la quête d’identité, fait un pas de côté et produit une œuvre à la dimension universelle.

Au tournant des années 2000, la production romanesque irlandaise reste le plus souvent située dans le courant du réalisme traditionnel, mais la marque de Joyce est bien là avec une génération d’auteurs qui ont su transformer son héritage en embrassant la cause humaine. La littérature irlandaise contemporaine offre de très profondes perspectives pour lire le monde.

L’esprit et la figure de Joyce

L’œuvre d’Edna O’Brien est souvent centrée sur les émotions intimes des femmes, sur leurs problèmes de relations aux hommes et à la société dans son ensemble. De par leur contenu (on y parle ouvertement de sexualité), ses romans ont ouvertement contesté l’ordre moral et familial de l’Irlande catholique et nationaliste, contribuant ainsi à alimenter ce que l’on a appelé le révisionnisme culturel irlandais. Elle n’a jamais caché que James Joyce lui avait ouvert les portes de la littérature. Vibrant hommage à un « mec funnominal » – mot emprunté à Joyce – et à son stupéfiant corps-à-corps avec la langue, James & Nora retrace la vie de l’artiste en couple, depuis sa rencontre à Dublin en juin 1904 avec une belle fille de la campagne originaire de Galway, Nora Barnacle, jusqu’à sa mort, en 1941.

Roddy Doyle s’est fait connaître avec La trilogie de Barrytown. Sympathisant de la condition ouvrière irlandaise tout en se jouant d’un discours convenu sur celle-ci, il introduit un discours politique sur le passé social irlandais et l’actualité ouvrière de l’île, tout en en faisant une chose comique. Certains critiques ont voulu voir dans cette double approche un héritage du style « joco-serious » (blague sérieuse) de James Joyce. Dans Smile (2017), Victor Forde, récemment séparé de sa compagne, Rachel Ray, retourne vivre dans le quartier dublinois de son enfance. Pour oublier sa solitude, il se rend tous les soirs dans le même pub et y rencontre Ed Fitzpatrick, qui lui assure être un ancien camarade de classe. Victor, qui ne se rappelle pas de lui, éprouve un malaise en sa présence et se voit contraint de revivre des souvenirs enfouis.

Luke O’Brien est professeur de lettres à Dublin. Spécialiste de Joyce, il traverse une période creuse dans sa vie et part se ressourcer à la campagne. Portrait de l’artiste en jeune homme égaré à la croisée des chemins, bouleversante histoire d’amour et de fantômes, doublée d’une méditation sur notre place au sein de la nature et du cosmos, La Capture confirme, après Academy Street, l’immense talent de Mary Costello, qui compte désormais parmi les plus importantes figures du paysage littéraire irlandais.

Dépasser les frontières

« Bon nombre de romanciers irlandais affichent la volonté de traverser des frontières dressées par l’intolérance et la discrimination, qu’elles soient d’ordre racial, sexuel ou économique. L’habitude de nier et de rejeter la différence qui caractérisa la société irlandaise jusqu’au milieu du XXe siècle, et que John McGahern [Amongst Women, 1990 : Entre toutes les femmes] ou Edna O’Brien ont amplement décrite, a sensibilisé les écrivains des jeunes générations aux thèmes de l’exclusion et de la marginalisation. La tradition séculaire de l’exil, immortalisée à travers tant de récits irlandais, a aussi marqué de son empreinte l’imagination et façonné l’héritage littéraire de ces nouveaux talents. Ces derniers cherchent à présent à transcender cette tradition en dépassant les limites étroites d’une préoccupation strictement nationale, en embrassant par exemple la cause de tous ceux qui dans le monde souffrent de l’exclusion, pour quelque motif que ce soit. L’Irlande offre au monde une des littératures les plus intéressantes à l’heure actuelle concernant l’expérience du déracinement, de la marginalisation et du décentrement, comme le montrent entre autres les romans de Colum McCann, de Michael Collins, ou encore de Joseph O’Connor. » (Le roman irlandais contemporain, Sylvie Mikowski, 2004).

Colum McCann, né en 1965 a commencé sur les pas de Kerouac aux Etats-Unis, expérience dont il a tiré La rivière de l’exil. Zoli offre un regard unique sur l’univers des Tziganes, avec pour toile de fond les bouleversements politiques dans l’Europe du XXe siècle. Dans Apeirogon, publié en 2020, un Palestinien et un Israélien, tous deux victimes du conflit qui oppose leurs pays, tentent de survivre après la mort de leurs filles. Ensemble, ils créent l’association « Combattants for peace » et parcourent la planète pour raconter leur histoire et susciter le dialogue.

Dans Normal people, Connell et Marianne, originaires de la même ville d’Irlande, s’aiment depuis leur jeunesse, lui, fils de femme de ménage et elle, issue d’un milieu bourgeois hautain. Au Trinity College de Dublin, Marianne s’épanouit tandis que Connell s’habitue mal à la vie estudiantine. Alors que le sort semble leur sourire, leur vie tourne au drame. Née en 1991, Sally Rooney, la Jane Austen contemporaine selon certains, aborde dans ses romans les préoccupations actuelles de la génération nommée Millenials : polyamour, féminisme, entrée dans la vie active…

 

Ces quelques titres font partie de la sélection Following Ulysses-Littérature irlandaise contemporaine, à retrouver sur nos étagères.

Pour mémoire, une sélection spéciale Irlandaises toujours disponible ici.

Bonnes lectures !

L’exposition « Following Ulysses » est présentée au 2è étage de la médiathèque André Malraux jusqu’au 25 aout (horaires d’ouverture ici).