D’un côté quelques grandes romancières du XIXe siècle, dont les œuvres ont façonné nos imaginaires : Jane Austen, les sœurs Brontë, Ann Radcliffe, Mary Shelley.

De l’autre des créatures fantastiques, issues du folklore et/ou de la littérature : une momie, le monstre de Frankenstein, des vampires, un loup-garou.

Quel est le rapport, me demanderez-vous ? Hé bien, tout ce beau monde est réuni dans la « Ligue des Écrivaines Extraordinaires », une série de courts romans d’aventures publiés cette année !

Voilà trois bonnes raisons de s’y plonger : c’est l’occasion de (re)découvrir un genre oublié, c’est un hommage réjouissant à des écrivaines intemporelles et c’est aussi un projet éditorial un peu fou… de quoi vous donner envie, je l’espère, de lire la suite de cet article !

 

Aux origines…

En 1875 Paul Féval, feuilletoniste bien connu pour Le Bossu (« si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ! »), met en scène dans La Ville-Vampire la romancière Ann Radcliffe, créatrice du roman gothique. Faire d’une auteure bien réelle le personnage d’une fiction, voilà une audace inédite à l’époque ! Elle permit à Féval de s’en donner à cœur joie dans ce court roman de 144 pages – dont vous trouverez une belle chronique ici.

Éclipsé par le succès du Bossu, méconnu, ce roman est republié dans le label « Les saisons de l’étrange » des éditions les Moutons électriques en 2018, sous le titre Ann Radcliffe contre les Vampires. Un hommage assumé à la série TV Buffy contre les Vampires (et à la pop-culture en général).

Un titre tapageur et des couleurs acidulées pour faire (re)découvrir l’œuvre de Paul Féval…

 

La « Ligue des Écrivaines Extraordinaires » s’inspire également de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, d’Alan Moore. Dans cette bande dessinée remarquable, Moore reprenait plusieurs personnages célèbres de la littérature et leur faisait vivre des aventures rocambolesques. Ainsi Allan Quatermain, l’Homme Invisible ou encore le capitaine Nemo faisaient équipe dans une histoire aux multiples références.

Impressionnant casting : le capitaine Nemo, Allan Quatermain, Miss Murray (vue dans Dracula), l’Homme Invisible et le très visible Mr Hyde. (c) Editions USA 2003, Moore / O’Neill

Voilà pour les prémisses de notre Ligue…

Des héroïnes carrément badass !

5 romans, tous publiés en 2020, constituent la première « saison » de la Ligue :

Ann Radcliffe contre Dracula, de Bénédicte Coudière

Jane Austen contre le Loup-Garou, de Marianne Ciaudo

Mary Shelley contre Frankenstein, de Cat Merry Lishi

Ann Radcliffe, Mary Shelley et Jane Austen contre Carmilla, d’Elisabeth Ebory

Anne, Emily et Charlotte Brontë contre la Momie, de Nelly Chadour

 

 

Les couvertures pop de Melchior Ascaride, c’est toujours un régal !

 

Ici, ce ne sont pas des personnages de la culture populaire mais des écrivaines bien réelles qui sont mises en scène. Ann Radcliffe, dans une suite officieuse du roman de Féval, affronte Dracula ; Mary Shelley est confrontée à la créature de son livre culte ; les sœurs Brontë découvrent qu’il existe pire monstre qu’un éditeur londonien en quête de succès…

Tout cela est très référencé voire un peu geek, mais pas d’inquiétude : ces cinq récits se lisent indépendamment et c’est malin, mais pas élitiste (vous n’avez pas besoin de connaître ces romancières pour apprécier leurs doubles fictifs). Mais il est bon de se rappeler qu’elles ont dû lutter pour faire connaître et publier leurs œuvres au XIXe siècle, dans un univers très masculin. Des romancières d’aujourd’hui, confirmées ou novices, leur rendent hommage en les imaginant en héroïnes carrément badass :

« Aussi talentueuses que courageuses, des écrivaines affrontent le mal sous toutes ses formes lors de secrètes batailles. Le monde est en danger, et elles sont là pour le défendre ! »

Un projet éditorial atypique

C’est donc dans une veine ludique et féministe que s’inscrivent ces récits. Mais La Ligue, c’est aussi un projet éditorial atypique. Le label « Les saisons de l’étrange », devenu entre-temps une maison d’édition indépendante, mise sur une série pulp et militante et lance un financement participatif (ou crowdfunding, ou foulancement). Le public a largement adhéré à une démarche clairement affichée par Christine Luce, directrice littéraire du projet :

[…] Plus qu’un choix, c’est une logique interne, féministe par évidence. Notre collection n’a rien à démontrer qu’Ann Radcliffe et Mary Shelley n’ont déjà prouvé il y a plus de deux siècles. […] il est toujours d’actualité de rappeler l’importance des écrivaines extraordinaires dans notre culture à tous.

Et pour rémunérer correctement les autrices, l’équipe éditoriale va jusqu’à travailler bénévolement sur ce projet ! Ou comment mettre des idées en pratique, de façon très concrète.

Le succès est au rendez-vous, si bien qu’une deuxième campagne de « foulancement » vient de s’achever. La « Relève de la Ligue » est ainsi financée : Selma Lagerlöf, Virginia Woolf et Renée Dunan reprendront prochainement le flambeau dans trois nouvelles aventures !

Toutes ces références sont ou seront prochainement disponibles dans les médiathèques de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg, en livre papier ou via notre service de prêt de livres numériques. De quoi s’évader un peu et combattre des (nos ?) démons, avec fun et humour…