Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand j’entends parler à grands fracas de la réédition d’un classique de la littérature, je ne peux m’empêcher d’imaginer qu’il s’agit avant tout d’un simple effet de manche de l’éditeur.
Fort heureusement, des pépites émergent parfois; je vous en ai déniché deux, fraîchement publiées:
« La montagne magique » de Thomas Mann, réenchantée par sa nouvelle traduction
- Oeuvre majeure du XXe siècle, ce roman de formation radiographie une société décadente et le psychisme mystérieux de ses malades.
- Grâce à cette création monumentale, l’auteur obtient le Prix Nobel de littérature en 1929.
- La traduction française se fait dans l’urgence et parait un an après. Elle n’avait pas été revue depuis, contrairement à sa cousine anglaise, 5 fois revisitée .
- Claire de Oliveira, la nouvelle traductrice, a mis 5 ans à relever le défi d’une nouvelle copie et, aux dires des critiques, cela en valait la peine. Ont été rendus au texte original, l’humour, l’érotisme et l’accent tragique, oubliés les propos germanophobes, reflet des bonnes mœurs de l’époque.
- En revanche, rien n’a disparu du romantisme magique, à commencer par le titre lui même, inspiré d’un vers du Faust de Goethe.
- Mais alors, que devient la célèbre déclaration d’amour:
Je t’aime, balbutia-t-il, je t’ai aimée de tout temps, car tu es le Toi de ma vie, mon rêve, mon sort, mon envie, mon éternel désir… ?
Et bien, je vous laisse le découvrir. En vous plongeant dans cette nouvelle version, vous goûterez ainsi à l’exercice si subtil de la littérature traduite.
La montagne magique (Der Zauberberg) de Thomas Mann, traduit de l’allemand, annoté et postfacé par Claire de Oliveira
« Le portrait de Dorian Gray » d’Oscar Wilde , enrichie par la version non censurée
- Le portrait de Dorian Gray , unique roman de l’écrivain irlandais, raconte la décadence d’un jeune dandy, Dorian. Le jeune héros accomplit un pacte faustien; pour demeurer éternellement beau, il accepte de voir son propre portrait vieillir. Mais celui ci se met à porter les stigmates de sa vie dissolue.
- Le manuscrit original , publié en 1890 sous forme de nouvelle dans la revue américaine Lippincott’s Monthly Magazine, subit une lourde censure à la demande de l’éditeur, afin que disparaisse toute référence explicite à la sexualité des personnages et à leur homosexualité affichée.
- Un an après, il parait en Grande-Bretagne sous forme d’un roman enrichi de six chapitres.
- Succès public immédiat mais nouveau scandale et vaste épure imposée par la morale victorienne. Oscar Wilde est accusé de corrompre la jeunesse en prônant l’apologie de la beauté.
- En 2011, des universitaires anglais réhabilitent le manuscrit original. Selon le traducteur français, Anatole Tomczak, «Wilde avait imaginé son livre comme un petit conte empoisonné, brillant de transgression, et c’est sous cette forme qu’il est ici restauré».
- Sont ainsi mis en lumière le coup de plume incisif, cruel et drôle de l’écrivain, son plaidoyer sur le beau et l’art, sa satire de la bonne société victorienne avec, en sus, des allusions plus explicites à l’homosexualité.
A écouter : https://www.franceinter.fr/emissions/ca-peut-pas-faire-de-mal/ca-peut-pas-faire-de-mal-22-juillet-2014
A méditer:
Un livre n’est point moral ou immoral. Il est bien ou mal écrit. C’est tout. Oscar Wilde
Le portrait de Dorian Gray non censuré, (The Portrait of Dorian Gray) d’Oscar Wilde, traduit de l’anglais par Anatole Tomczak