2024, c’est parti, l’année s’ouvre sur une belle perspective : en avril Strasbourg sera la première ville française à recevoir le label Capitale mondiale du livre UNESCO sur un projet intitulé « Lire notre monde ». Le programme s’annonce intensément riche, explorant de nombreux défis et enjeux de notre temps, sous le signe de la lecture, source de bien-être mais aussi levier vital de paix et d’humanisme. C’est dans cet esprit que nous vous proposons en préambule cette brève sélection, parfois grave parfois optimiste, avec tous nos meilleurs vœux de lecture.
Lire pour le dialogue démocratique, sur fond de guerre en Ukraine
Depuis près de deux ans la guerre en Ukraine a dominé l’actualité géopolitique, bouleversant le territoire européen, et ces dernières semaines le conflit s’intensifie. Des écrivains l’ont accompagné, dans une mise à distance que permet l’écriture. C’est le cas de Jonathan Littell, écrivain, prix Concourt et le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2006 pour « Les Bienveillantes ». Après avoir dénoncé l’agression de l’Ukraine en 2022, il explore dans « Un endroit inconvénient » deux lieux chargés de violence à proximité de Kiev. Le ravin de Babyn Yar a été le théâtre de l’exécution de 33.000 Juifs en septembre 1941 puis de 70.000 personnes durant l’occupation nazie. En mars 2022, l’armée russe a tué plus de 650 civils à Boutcha. J. Littell interroge les survivants, les résidents et les historiens tandis qu’Antoine d’Agata, photographe, membre de Magnum Photos, prix Niépce en 2001, livre sa vision en plus de 70 clichés (Gallimard 2023).
S’il est un titre mythique qui méritait d’être réédité en 2023, c’est L’Archipel du Goulag. « Une fresque littéraire dépeignant l’univers concentrationnaire soviétique, fruit de l’enquête menée clandestinement par Andrei Soljénitsyne auprès d’anciens prisonniers et de sa propre expérience du bagne. A l’occasion des 50 ans de sa publication en France, de larges extraits sont réédités, accompagnés d’une présentation. L’Archipel du Goulag a déclenché l’arrestation de Soljénitsyne, sa proscription, son long exil en Occident. On peut dire que cette œuvre a largement contribué à faire tomber le régime communiste, et, par-là, à changer le monde. Cinquante ans après, alors qu’un Vladimir Poutine enferme une nouvelle fois la Russie dans le totalitarisme et le repli sur soi, « L’Archipel du Goulag » est plus que jamais d’actualité. » (Fayard 2023, bientôt dans nos rayons).
Imaginer un futur désirable et poétique – IA incontournable ?
Iris dans la prison dorée de son penthouse new-yorkais ; Ling en Chine, ouvrière d’une usine de poupées à taille humaine ; Ada Lovelace, fille de lord Byron et mathématicienne de génie bien à l’étroit dans l’Angleterre victorienne : elles vivent à des époques et dans des lieux différents, mais toutes trois sont unies par un lien mystérieux, une quête commune qui les font braver l’ordre établi. Roman gigogne, « Trois âmes soeurs » brouille les frontières entre l’humain et la machine, bouleverse nos a priori sur l’intelligence artificielle, pour acclamer le pouvoir de l’imagination et activer la mécanique de la désobéissance.
Martina Clavadetscher, née à Zoug en Suisse en 1979, a étudié les lettres allemandes et la philosophie à Fribourg. Elle est aujourd’hui une dramaturge reconnue en Suisse alémanique et en Allemagne (Prix suisse du livre en 2021). Son premier roman traduit en français de l’allemand est édité chez Zoé (2023).
Si vous n’avez pas lu « Une machine comme moi » à sa sortie en français en 2020, c’est le moment de vous plonger dans ce roman subtil et subversif, à l’humour noir et à la pertinence redoutable. Londres, 1982. Dans un monde qui ressemble à s’y méprendre au nôtre, quelques détails dissonent : les Beatles sont toujours au complet et le chercheur Alan Turing est encore en vie. Grâce à lui, les avancées scientifiques en matière d’intelligence artificielle fulgurantes. Charlie fait l’acquisition d’un « Adam », un androïde doté de l’intelligence artificielle la plus perfectionnée qui soit. Adam ressemble beaucoup à un humain, sait faire la conversation, écrit des poèmes et proclame son amour pour Miranda, la compagne de Charlie. En dépit de la jalousie que cette déconcertante situation induit, le trio vit en bonne entente, insensible aux catastrophes économiques et sociales qui bouleversent l’Angleterre. Mais Adam a été conçu pour respecter les règles et ne parvient pas à accepter les imperfections du monde…
Ian McEwan, l’un des écrivains anglais les plus doués de sa génération, explore le danger de créer ce que l’on ne peut contrôler, et pose une question mélancolique : si nous construisions une machine qui puisse lire dans nos cœurs, pourrions-nous vraiment espérer qu’elle aime ce qu’elle y trouve ?
Le livre, un levier vital pour se construire
Née à Kinshasa, Karelle Dia a 8 ans lorsque la guerre éclate. Avec sa mère, elle trouve asile en France dans des hôtels insalubres. Sous la menace constante d’une expulsion, la fillette saisit sa chance d’être scolarisée et se fait un devoir d’exceller. Aidée par une professeure, elle participe à un concours d’éloquence qui lui ouvre les portes de la réussite jusqu’à la Comédie-Française.
Avec « Les Chemins d’exil et de lumière » (Viviane Hamy, 2023), Céline Lapertot continue d’explorer avec justesse et pugnacité la veine sociale qui caractérise son œuvre. Inspirée de la vie de l’une de ses élèves, l’auteure nous livre le roman d’une femme qui affronte son destin pour mieux éblouir le monde de sa lumière. Née en 1986 à Lunéville, professeur de français à Schiltigheim, Céline Lapertot n’a pas cessé d’écrire depuis l’âge de 9 ans.
Autre odyssée : jeune fille coincée dans un corps de garçon qu’elle ne sait habiter, la narratrice de « La Mauvaise Habitude » retrace son parcours, de son enfance dans les années 1980, où elle grandit dans une famille ouvrière de San Blas, un quartier populaire madrilène dévasté par l’héroïne, à ses nuits clandestines au cœur du Madrid des années 1990. Telles la Margarita, diva fanée qui hante le quartier, la fière Moraíta à la sauvagerie de chimère, ou la Cartier, toujours parée de ses rutilants bijoux de pacotille, nymphes triomphantes et anges déchus l’accompagnent dans son odyssée personnelle, pour apprendre à exister en habitant sa propre légende et marcher la tête haute.
À travers ce premier roman féroce, drôle et émouvant, Alana S. Portero nous entraîne dans une sublime quête d’identité attelée à l’espoir de pouvoir enfin devenir soi. Alana S. Portero, née à Madrid en 1978 au sein d’une famille de la classe ouvrière, est historienne médiéviste de formation, dramaturge et metteuse en scène. Elle écrit dans de nombreuses revues sur le féminisme, l’activisme LGBT et l’expérience des femmes trans. « La Mauvaise Habitude » est son premier roman (Flammarion, 2023, également disponible en livre numérique).
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