C’est un afflux sans précédent de migrants, réfugiés, exilés, déplacés qui arrive en Europe. Tout le monde en parle : les politiques, les médias, internet…et la littérature.
Rien que dans la rentrée littéraire 2015, deux écrivains, Paola Pigani (Venus d’ailleurs) et Pascal Manoukian (Les échoués) évoquent des périodes de migrations vers la France (début des transits de migrants par l’ile de Lampedusa dans les années 90, réfugiés kosovars dans les années 2000).
Tout le monde en parle, donc, mais rarement les principaux concernés.
Que disent-ils ? A quoi rêvent-ils ?
Velibor Colic, Agota Kristof, Gazmend Kapllani, Amara Lakhous, Pinar Selek, Abdulmalik Faizi … répondent avec leur langue commune : la littérature.


Velibor Colic, de l’urgence à la distance

« C’était à cinq heures du matin, le 20 août 1992, quand je suis parti en exil. »
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Soldat dans l’armée bosniaque, Velibor Colic tient un carnet de notes qu’il remplit furtivement, donnant à jamais un nom à tous les morts et brisés qu’il rencontre. Monument aux morts littéraire, ces notes seront publiées dans Les bosniaques, et Chroniques des oubliés (extrait ci-dessous). Il poursuit avec une oeuvre romanesque toujours liée à la mémoire, à l’histoire récente des Balkans, et à sa passion pour le jazz.

extrait velibor colic


Gazmend Kapllani ou l’interrogation des frontières

L’écrivain, chroniqueur au quotidien grec Ta Nea, se souvient de son enfance en Albanie, de son exil en Grèce en 1991, de son séjour en centre de rétention, de sa vie d’immigré albanais en Grèce.
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Partir, s’intégrer, changer de langue, vivre de loin l’évolution de son ancien pays : ces expériences forgent une autre identité autant qu’elles provoquent interrogations politiques, sociales et personnelles chez Gazmend Kapllani.
Des romans initiatiques, en somme.


Agota Kristof : « Quelle aurait été ma vie si je n’avais pas quitté mon pays ? »

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En 1956, Agota Kristof a 21 ans et l’armée soviétique marche sur la Hongrie pour réprimer la révolution. Avec son mari et son bébé de 4 mois elle fuit le pays pour rejoindre l’Autriche. C’est en Suisse et en français qu’elle deviendra l’écrivain acclamée de la trilogie du Grand cahier. Au départ écrits pour un magazine, les 11 récits de L’analphabète (extraits), racontent son exil, le transit par les camps de réfugiés, son intégration en Suisse, le tout dans son style bref et sobre. Suivez le lien pour voir un de ses derniers entretiens télévisés :

https://tp.srgssr.ch/p/rts/embed?urn=urn:rts:video:415753&start=0


Abdulmalik Faizi. Partir à 15 ans, arriver à 16
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Dessin de Béarboz extrait de « Je peux raconter mon histoire » de Abdulmalik Faizi, avec Frederique Meichler, médiapop Editions 2014

Poussé par son oncle et sa tante à quitter l’Afghanistan à 15 ans (pratiquement toute sa famille a été tuée par les Talibans), il rejoint d’abord l’Iran pour arriver 10 mois plus tard en Alsace, son avant-dernière étape jusqu’en Finlande. Son passeur part chercher des cigarettes et ne revient pas. C’est donc à la gare de Mulhouse que s’arrête son périple, mais c’est le début de démarches longues et incertaines : demande d’asile, recherche de logement, poursuite d’études… Son témoignage est rare, peu de réfugiés parlent de leurs passeurs, encore moins de leurs relations complexes : confiance forcée, dépendance, méfiance, reconnaissance.

Invité de France Inter en juin 2014 pour l’émission « Partout ailleurs » (l’écouter ici, de 23’10 à 32’16) d’Éric Valmir, Abdulmalik Faizi parle de son odyssée de 10 mois pour rejoindre l’Europe de passeurs en passeurs, de la joie de pouvoir écouter ses chansons préférées dès qu’il le pouvait (on peut en entendre quelques unes pendant l’émission)


Pinar Selek et son double romanesque

Fuyant la persécution politique en Turquie, Pinar Selek, militante, sociologue des minorités kurdes et de la marginalité, poursuit son doctorat à Strasbourg.
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C’est la forme romanesque (tout en y mettant beaucoup de son histoire personnelle et familiale) qu’elle choisit en écrivant La maison du Bosphore. L’histoire d’un quartier, de passages, d’amour et de rencontres autour d’idéaux communs.
Ecouter Pinar Selek, invitée de l’émission D’ici d’ailleurs de Zoé Varier sur France Inter le 11 septembre 2015 


Shumona Sinha de l’autre coté du miroir

« Pas de compassion immédiate et gratuite », c’est la position de la romancière, dont l’expérience d’interprète pour l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) a servi de matière à ce livre.
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C’est un roman dérangeant pour les sentiments contradictoires de la narratrice, interprète, vis à vis de compatriotes désespérés qui tentent tout pour obtenir le statut de réfugié politique, et dont elle doit débusquer les incohérences et mensonges. Ils l’exaspèrent autant qu’ils l’émeuvent.  Elle ne se trouve rien de commun avec ces hommes : elle, arrivée pour poursuivre ses études, déjà écrivain et poète reconnue ; eux, fuyant la misère (et peut-être la persécution), et souvent hostiles à cette femme qui, pour quelques heures, détient le pouvoir sur eux.
Pour les curieux, le titre du roman vient du poème éponyme de Baudelaire, qui vaut le détour pour son incongruité (et qui a servi d’inspiration au geste violent et absurde de la narratrice).

Et aussi, une critique exhaustive et passionnante du roman.


Vladimir Lortchenkov, le Borat littéraire de la Moldavie

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Vladimir Lortchenkov est dans le collimateur des autorités avec son très grinçant « Des 1001 façons de quitter la Moldavie » au point de lui faire quitter la Moldavie pour le Canada en 2014. Pour vous faire une idée de son style corrosif, lisez le 1er chapitre du roman ici.

 


Dimitri Verhulst. Vis ma vie de réfugié en centre d’accueil

Dimitri Verhulst (l’auteur de La merditude des choses) vit pendant un mois en résidence d’auteur dans un centre de demandeurs d’asile en Belgique.
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Hôtel Problemski est le résultat de cette expérience particulière. Composé de courts chapitres, ce « docu-roman » nous plonge dans le quotidien de réfugiés fait d’attente, de désarroi, de misère affective et de conditions de vie qui laissent peu de place à la dignité. Dans le chapitre « Ramona », le protagoniste est en tel manque de contact humain que l’effleurement anodin par une coiffeuse désagréable suffit à l’émouvoir.
Le livre a été adapté au cinéma (sortie prévue en 2016) par le réalisateur Manu Riche, voila ce qu’il dit du livre et du tournage.
https://dailymotion.com/video/x2aei62

 


Amara Lakous, la dolce vita multiculturelle

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Comment la vie change au quotidien, à l’échelle d’un quartier ? Amara Lakhous (journaliste radio ayant quitté l’Algérie en 1995) en trois romans d’une belle vitalité (il « arabise l’italien et italianise l’arabe« )  nous immerge dans un univers tragicomique, compliqué, tout en reflétant les évolutions démographiques actuelles de l’Italie.


Mentions spéciales

Contrairement aux précédents romans qui contiennent tous une part autobiographique, ou dont les auteurs ont fait l’expérience de l’exil, ceux-ci relèvent entièrement de la fiction.
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Tea-Bag et Saad Saad sont des personnages attachants, car leurs créateurs, Eric-Emmanuel Schmitt et Henning Mankell  ont réussi, avec beaucoup d’empathie, à montrer des individus dont la migration n’est qu’une partie de leur expérience et de leur identité. Ils sont plus que de vagues visages dans une foule hagarde filmée pour les journaux télévisés.
Tout juste récompensé par le prix Médicis EtrangerEncore se lit du point de vue de Gazâ, passeur de clandestins comme son père et ses frères. Avec son écriture déroutante (lire les premieres pages ici), un sujet inconfortable et un personnage monstrueux, Hakan Gunday (dont c’est le troisième roman traduit en français) se montre à la hauteur de sa réputation d’ « enfant terrible de la nouvelle génération des écrivains turcs ».


Sur un ton plus léger

couv lapin laponie tuomas kyro Premier roman traduit de Tuomas Kyrö, Les tribulations d’un lapin en Laponie est un clin d’œil assumé au célèbre Lièvre de Vatanen de l’autre grande exportation finlandaise après Nokia, Arto Paasilina. Trente six ans séparent ces deux romans, et avec eux, les enjeux politiques et sociaux de l’Europe.
Pour offrir des chaussures de foot à son fils, notre héros Vatanescu ne trouve rien de mieux que de partir de Roumanie pour aller mendier en Finlande. Evidemment, rien ne se passera comme prévu. Atteindra-t-il son Graal à crampons ?
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Pour son premier roman, Romain Puertolas a pris le parti de
rire d’une situation souvent dramatique. Aventure rocambolesque d’Ajatashatru, un fakir hindou coincé dans une armoire et ballotté de pays en pays, doublée d’une histoire d’amour, ce roman mène le lecteur aux quatre coins de l’Europe et dans la Libye postkadhafiste.
(lire un extrait ici).