Stefania Gianotti nous invite dans sa cuisine. Si si, même si vous ne la connaissez pas, aussi vrai qu’elle raconte à merveilles ce que cuisiner représente pour elle dans « Une vie al dente : récit de bouche« . Un sous titre qui en dit long,car ce n’est qu’à travers le filtre de la cuisine et de ses recettes qu’elle peut relire son passé et les moments marquants comme anodins. Les années 1950, 1968, la famille, la vie conjugale, les copines… tout est passé à la moulinette de la cuisine dans un récit – ou un livre de recettes – gouleyant et chaleureux avec une pointe de nostalgie. Arrêt sur la chicorée à la romaine, simple mais digne d’un repas de fête… ça tombe bien.
« Le soir du 25 décembre arrivent tous les amis. Ceux qui vous aiment vraiment. Ils veulent me tenir compagnie parce qu’ils savent que j’ai des ennuis. Ils viennent au grand complet : couples en crise, fiancés clandestins, épouses abandonnées. Nous nous tenons bien : personne ne pleure. Nous rions beaucoup au contraire et faisons des tonnes de Polaroïd. Au dernier Noël j’ai dit : « Je veux qu’Annibalino me fasse un bisou et que maman me prenne en photo. » Il m’a donné le Polaroïd qui est toujours sur ma table de nuit. Mais il n’y a pas que les épouses abandonnées. Il y a aussi les maîtresses, car leur homme passe Noël avec la femme qu’il avait quitté.
Coup de fil de l’hôpital : elle ne peut pas venir. En allant retrouver son mari présumé, qu’elle ne voyait pas depuis des mois mais qui venait pour le dîner, elle a trébuché, le talon de sa chaussure s’est coincé dans une chaîne entre deux poteaux, elle est tombée et s’est cassé le tibia et le péroné : elle en a pour six mois.
Le dîner est bon. On coupe encore quelques tranches de saumon ; on sert le pâté en gelée (dont je ne vais pas répéter la recette), la soupe de printemps qui plait tant à monsieur le député, le canard farci, l’une de mes spécialités, et cette année, la chicorée aux anchois. Tout est prêt, même la salade. […]CHICOREE A LA ROMAINE
Chicorée catalane ou salade frisée, filets d’anchois à l’huile, ail, huile d’olive vierge extra.
Au cours de ce repas où les amis se mélangent avec la famille, les plats doivent être légers, mais pas trop. Une salade, même raffinée, ne sera jamais à la hauteur.Je retire toutes les feuilles de la chicorée, jette les parties dures et ne garde que les pousses. Je les coupe dans le sens de la longueur et fais friser l’extrémité, uniquement pour des raisons esthétiques, en les laissant tremper dans de l’eau pendant quelque temps ; mais si je n’ai pas envie de le faire, je me contente de les couper en petits morceaux. J’assaisonne la salade avec les filets d’anchois écrasés à la fourchette, de l’ail et de l’huile, c’est tout.
A la fin de la soirée, papa, maman et tante Marcella sont allés se coucher. Le petit reste dormir chez eux en témoignage de son affection. Mon mari « pour l’occasion » m’accompagne chez moi, puisqu’il a sa propre maison. A chaque fois nous partons dans d’interminables discussions. Non, ce ne sont pas des discussions sans intérêt. Nous ne sommes pas stupides. Nous allons au fond des choses. Cette année-là nous abordons le thème de la violence sexuelle. « Ciao. » Imbécile pensé-je en lui disant au revoir. »
J’ai choisi la recette la plus simple du menu, je vous laisse tester les autres plats, ou vous approprier le menu complet, page 126, jusqu’à la soupe de la Saint-Etienne, page 132 – il fallait bien ça ! Stefania Giannotti a été rééditée en 2017 aux éditions Cambourakis.