Nous l’évoquions dans un précédent article, les métiers de la traduction étaient à l’honneur à Strasbourg durant une dizaine de jours au cours du festival D’une langue vers l’autre. A la médiathèque André Malraux, nous avons organisé une rencontre autour de la traduction des contes de Grimm. Qui ne connaît Le petit chaperon rouge, Les musiciens de la ville de Brême, Cendrillon, Hansel et Gretel ou encore Raiponce ? Ces contes populaires mondialement connus, traduits dans plus de 160 langues, constituent l’œuvre de langue allemande la plus traduite dans le monde après la Bible et ont été inscrits à l’héritage culturel de l’humanité par l’UNESCO en 2005.

Pour nous raconter « la fabuleuse histoire de la traduction des contes de Grimm », nous avons invité Natacha Rimasson-Fertin, qui a publié aux éditions Corti la traduction complète et richement commentée de l’intégralité des contes de Grimm de 1857. Les trois tomes de l‘édition allemande Reclam, n’avaient alors jamais été traduits en français dans leur totalité.

Natacha Rimasson-Fertin Source : Université de Grenoble Alpes

LA spécialiste des contes de Grimm

Natacha Rimasson-Fertin est maîtresse de conférence en langues et littératures germaniques à l’Université de Grenoble avec, pour domaine de recherche élargi, les langues et littératures slaves. Elle a réalisé en 2008 une thèse sur les contes de Grimm et les contes d’Afanassiev et a publié l’année suivante la première traduction intégrale en français de la totalité des contes de Grimm en deux volumes, aux éditions Corti. Cette traduction lui a valu le prix de la société des Gens de Lettres catégorie Traduction en 2009 et le prix de l’Académie Française en 2010.

Cet ouvrage a été réédité en 2017 en un seul volume, toujours aux éditions Corti.  Il s’agit d’une belle édition intégrale contenant 201 contes, 28 textes supprimés appelés les « contes retranchés ainsi que 10 légendes pour enfants.
Cette édition des contes de Grimm se démarque par les nombreuses notes et commentaires qui accompagnent chaque conte, expliquant les sources du conte, le contexte de l’époque, la ou les symboliques, les remaniements qui ont enrichi le conte au fil des rééditions… (Les contes ont été réédités sept fois du vivant des frères Grimm !) Ces nombreux commentaires permettent de comprendre toute l’histoire de ces contes et légendes transmis à l’époque, souvent de manière orale.
Le volume contient également la traduction des notes d’origine de Jacob et Wihlelm Grimm expliquant leurs choix « éditoriaux ».

Les subtilités de la traduction ? « Garder le jaune de l’oeuf… »

Cette traduction a la particularité d’être très proche du texte original. Les contes ont conservé leur intitulé KHM (Kinder und Hausmärchen) et la traductrice a pris soin de garder les termes allemand des unités monétaires de l’époque et des noms germaniques des personnages ou de lieux, par souci de fidélité au texte initial. A titre d’exemple, deux étudiantes nous ont lu le conte KHM 55 Rumpelstilzchen qui fait référence à un petit homme, un esprit frappeur qui n’existe pas en français. Fallait-il traduire son nom ? les traducteurs anglais avaient choisi de reconstruire des sonorités en transposant le nom en « Rumpelstiltskin », les français ont toujours plutôt conservé le côté cocasse du nom avec à l’époque  un « Mimi les échasses » assez  surprenant !

Mme Rimasson-Fertin a évoqué lors de cette rencontre les subtilités rencontrées dans ce travail de traduction de longue haleine (5 ans pour la thèse et 6 ans pour la traduction complète ! ) comme par exemple la difficulté à traduire certains suffixes ou diminutifs.  Blanche-neige comprend de nombreux diminutifs -« chen » et « lein », difficile de tout remplacer par « petit »… d’ailleurs il semble que les Français supportent mal les répétitions alors que ce n’est pas un problème pour les germanophones. Se familiariser avec le dialecte du début du XIXème siècle a également été un défi, mais sans pour autant tomber dans le biais de traduire dans un dialecte français – lequel aurait-elle d’ailleurs du choisir ?  Evoquant le rôle du traducteur, notre intervenante a cité cette jolie métaphore : « la fidélité [dans le cadre de la traduction], c’est garder le jaune de l’œuf même s’il reste toujours un peu de blanc autour ».

Des contes plusieurs fois réécrits par les frères Grimm eux-mêmes

Wilhelm and Jacob Grimm, 1847; daguerreotype by Hermann Blow. Source : wikipedia.

Les frères Grimm étaient des linguistes, philologues, bibliothécaires et traducteurs allemands. Ayant conscience que des bouleversements sociétaux étaient en cours au début du XIXème siècle et que le conte risquait de disparaître, ils ont entrepris ce gros travail de collecte de contes dans un but encyclopédique, afin de contribuer à l’histoire de la poésie populaire allemande.

Contrairement à ce qu’on peut penser aujourd’hui, ces récits n’étaient pas du tout destinés à un jeune public. Lors de la publication du premier tome en 1812, ils ont d’ailleurs essuyé quelques critiques, même de leurs proches, en raison du caractère amoral et violent de plusieurs contes jugés inadaptés aux enfants (Qui déjà se faisait tailler le pied à la hache pour entrer dans la chaussure de Cendrillon ?)
On leur a également reproché le manque d’illustrations.

Les frères Grimm se sont attachés dès 1815 à supprimer toute expression « inadaptée à l’enfance » sans toutefois dénaturer les contes pour autant. Par exemple, certains contes comme Raiponce se sont vus ôter toute référence érotique. Lorsque la jeune Raiponce évoquait clairement une grossesse dans la publication originale, cet élément est « gommé » dans les versions ultérieures et la jeune fille se trahit par un malheureux lapsus adressé à la sorcière. Natacha Rimasson-Fertin explique que les contes ne sont pas restés figés puisque les deux frères ont continué à les faire vivre en les retravaillant sans cesse au cours des sept éditions qu’a connu le recueil de leur vivant. Ces récits étaient dès le début accompagnés de commentaires expliquant et justifiant ces « retouches », jusqu’à ce que ces notes prennent la forme d’un recueil séparé en 1822.

Jacob et Wilhelm Grimm ont collecté ces récits populaires auprès de grandes familles de la bourgeoisie allemande. Concernant l’origine des contes, Mme Rimasson-Fertin rappelle que la version proposée par les deux frères résulte souvent d’un amalgame de plusieurs versions d’un même conte. Ces différentes versions furent la plupart du temps transmises oralement et sont elles-mêmes déjà passées par plusieurs filtres. Ainsi, le conte de Cendrillon tel qu’il est présenté dans ce volume est construit à partir de pas moins 9 versions.
La traductrice souligne aussi l’influence étrangère de certains contes qui ont, pour cette raison, été mis de coté, mais qu’on se réjouit de découvrir parmi les « contes retranchés » à la fin du recueil.

Quand les enfants désobéissants étaient changés en bûche pour le feu

Le Petit Chaperon rouge.
Illustration de Jessie Willcox Smith, 1911.
Source : Wikipédia

On constate bien entendu des thèmes récurrents à la lecture de ces contes : la pauvreté, la famine, l’abandon d’enfant, la mort voir le meurtre… Les animaux sont très présents dans ces récits, notamment la figure du loup ou du renard (Le petit chaperon rouge, Le loup et les sept chevreaux… ). Certains contes sont particulièrement cruels. Parmi les contes retranchés, on trouve des contes jugés amoraux ou violents, même si parmi les 201 contes « classiques » les contes cruels ne manquent pas !

D’autres récits sont plus légers, abordant les thèmes de la nature ou de la religion. Certains sont même drôles, à l’instar de Gretel la maligne qui est un bel exemple de conte facétieux. Nombreux sont les contes qui sous-entendent une morale, faisant ressortir les valeurs bourgeoises et chrétiennes de l’époque : le devoir d’obéissance, la fidélité, la charité…

Les récits classés à la fin de l’ouvrage comme des « Légendes pour enfants » s’avèrent être souvent des histoires tragiques et cruelles, avec une forte dimension morale. A titre exemple a été lu Le pain de Dieu, un récit court mais absolument tragique sur le thème de la pauvreté et de la charité. L’éducation des enfants a heureusement beaucoup évolué  !

Parmi les contes retranchés, en plus des contes jugés trop durs, on retrouve des récits à l’origine incertaine ou non allemande. Par exemple,  Le chat botté (conte retranché n°5) fut écarté en raison d’une trop grande proximité avec le conte de Perrault, L’épreuve des petits pois, (conte retranché n°28), en raison de sa trop grande proximité avec le conte d’Andersen La princesse au petit pois, etc.

Une grande aventure populaire

Illustration des Musiciens de la ville de Brême. (Wikisource)

Lors de la deuxième édition des contes en 1819, les frères Grimm évoquent leur souhait de faire du recueil un livre d’éducation. A partir de 1825, une nouvelle édition des contes de Grimm est publiée avec, pour la première fois, des illustrations réalisées par leur frère cadet, Ludwig Emil Grimm. Ce volume « jeunesse », réédité huit fois du vivant des frères Grimm, contribuera au succès des contes auprès des enfants et permettra de faire connaître la « grande » édition (l’intégrale, non illustrée) qui elle, connaitra véritablement du succès à partir de 1837. C’est le début d’une grande aventure pour ces récits qui ne cesseront dès lors de gagner en popularité !

Natacha Rimasson-Fertin a su rendre l’histoire de la traduction des contes de Grimm passionnante en mettant en lumière les particularités de ces récits populaires et en relatant de nombreuses anecdotes rencontrées durant son gros travail de traduction. Les lectures de contes en allemand et en français par deux étudiantes de l’université de Strasbourg ont permis de s’immerger pleinement dans l’ambiance Grimm.

Il est temps maintenant de se plonger dans l’édition intégrale et richement commentée : Contes pour les enfants et la maison / collectés par les frères Grimm .- traduit par Natacha Rimasson-Fertin .- Corti, 2017 !