C’est une question qu’on se pose quotidiennement, mais qu’il faut aussi se poser à long terme. Avec les médiathèques en débat cette année, « Sous les pavés la terre« , l’écologie se réfléchit sous tous les angles, dont celui de l’alimentation : rapport aux animaux et aux plantes, usage des pesticides, avenir de l’agriculture, inégalités alimentaires… Ces questionnements traversent la littérature, pour preuve le roman multiprimé de Gaspard Koenig, Humus, dans lequel deux étudiants en agronomie, angoissés comme toute leur génération par la crise écologique, refusent le défaitisme et se mettent en tête de nourrir le monde autrement. La littérature européenne s’attache elle aussi à explorer les thématiques écologiques. Voici quelques titres orientés nourriture à vous mettre sous la dent. Et si comme ce n’est pas toujours très joyeux, une recette pleine d’optimisme en conclusion !
Les champs brisés : élevage et abattage ont bien changé
Années 1990, dans une Irlande en pleine mutation, sur fond de crise de la vache folle. Una, 12 ans, est la fille de l’un des huit derniers bouchers qui parcourent le pays pour abattre le bétail selon un rituel ancestral respectueux de l’animal. La jeune fille rêve de prendre la suite de son père, mais sa mère tente de lui expliquer que cette vieille coutume est vouée à disparaître.
Entre coutume et modernisation, l’autrice brosse avec finesse le portrait d’une Irlande en pleine mutation à travers le destin d’une jeune fille confrontée à un monde brutal qu’elle ne comprend pas. Une atmosphère gothique imprègne ce magnifique roman qui donne à connaître une Irlande méconnue.
Née à Dublin en 1988, Ruth Gilligan est écrivaine, journaliste et professeure d’université. Les Champs brisés, son cinquième livre plus justement dénommé « The butchers » en anglais, a obtenu le très littéraire RSL Ondaatje Prize en 2021. Elle est la plus jeune autrice classée dans la liste des best-sellers en Irlande et vit aujourd’hui à Londres.
Les saisonniers : plongée dans l’industrie alimentaire
Quitter l’Espagne le temps d’un été, faire les vendanges dans le Sud de la France pour voir du pays et gagner un peu d’argent. Le plan était presque parfait. Et pourtant rien ne se passe comme prévu. À cause du réchauffement climatique les vendanges sont repoussées, obligeant le narrateur et ses trois amis à s’inscrire dans une boîte d’intérim. Le voyage tourne vite au cauchemar : on les envoie d’abord dans un élevage de poulets où ils sont chargés d’attraper des volailles terrorisées, puis dans un élevage de canards qu’ils doivent vacciner de force. Tous les quatre découvrent un monde sans foi ni loi, et ont l’impression d’être tombés dans un piège. Nourri de références littéraires, cinématographiques et musicales, Les Saisonniers est un manifeste contre la précarité et la puissante industrie agroalimentaire, qui se lit comme un voyage initiatique aux allures de labyrinthe borgésien.
Munir Hachemi est né en 1989 à Madrid d’un père algérien d’une mère espagnole. Il a étudié la philologie hispanique et la littérature latino-américaine à l’Université de Grenade. Actuellement, il rédige sa thèse de doctorat sur l’œuvre de Jorge Luis Borges. Les Saisonniers, son premier roman, lui a valu d’être sélectionné par la prestigieuse revue Granta parmi les 25 écrivains hispanophones les plus prometteurs de sa génération.
Un histoire des abeilles : que faire sans elles ?
Angleterre 1852, William lance une ruche révolutionnaire. Ohio 2007, George, apiculteur bourru, semble désespéré que son fils devienne végétalien et abandonne l’exploitation. Chine 2098, Tao passe son temps à polliniser les fleurs à la main. Elle rêve d’un avenir radieux pour son fils Wei-Wen qui tombe mystérieusement dans le coma en entrant dans une forêt.
Maja Lunde est née en 1975 à Oslo. Diplômée de l’université d’Oslo, elle a écrit des scénarios pour la télévision et huit livres pour la jeunesse avant de se lancer dans la rédaction d’Une histoire des abeilles (« Bienes historie », 2015), le premier roman d’une tétralogie très pertinente consacrée à l’écologie et à l’impact de l’homme sur la nature.
Rocky, dernier rivage : ne s’agit-il que de survie alimentaire ?
En prévision de la fin des connexions et de l’épuisement des ressources, le milliardaire Fred s’est réfugié avec sa femme, ses deux enfants et un couple d’employés de maison argentins sur son île déserte. Il y a fait construire une somptueuse villa dotée du confort moderne et de nourriture. Mais en dehors de tout ce luxe, le reste du monde disparaît. Rocky, dernier rivage, un récit survivaliste décapant ou un roman sombre et réjouissant sur le consumérisme, le pouvoir, la possession ? « Dans les récits survivalistes habituels, les conditions matérielles de la survie ne sont pas remplies, les gens survivent âprement dans un monde dévasté. Ici, les conditions matérielles de la survie sont remplies, mais les conditions morales et culturelles ne le sont pas. » Thomas Gunzig.
Thomas Gunzig, né en1970 à Bruxelles, est l’écrivain belge le plus primé de sa génération et il est traduit dans le monde entier. Libraire, professeur de lettres, chroniqueur, romancier, nouvelliste exceptionnel, scénariste… il excelle entre humour noir, fantaisie réaliste et pessimisme morbide, doué d’une imagination bondissante proche du fantastique. est le
Dans la cuisine… avec Alberto Manguel
Écrivain, traducteur, éditeur, Alberto Manguel aime à se définir plutôt comme lecteur. Né à Buenos Aires, il a vécu dans de nombreuses régions du monde. De 2016 à 2018, il a dirigé la Bibliothèque nationale d’Argentine et réside actuellement au Portugal après avoir occupé la chaire annuelle « L’invention de l’Europe par les langues et les cultures » du Collège de France en 2021-2022.
Amoureux de la cuisine et de la bonne chère, il nous surprend avec un livre de recettes intemporelles qu’il a concocté avec générosité, allant jusqu’à dessiner lui-même les croquis les illustrant : La cuisine des contrées imaginaires. Chaque recette, testée par l’auteur et facile à réaliser, a priori, est celle d’un lieu imaginaire emblématique de la littérature mondiale. « La littérature ne nourrit pas seulement l’âme ». (Alberto Manguel)
Ragoût de légumes d’Utopie, d’après Thomas More ? Surprenants bullocks au four de Capillaria d’après Frigyes Karinthy ? Dinoburgers de Jurassic Park de Michael Crichton ? Je vous conseille les petits pains du bonheur au poisson de Zénobie, d’après Italo Calvino.
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