St Patrick oblige, envolons-nous vers la belle et mystérieuse Irlande.  Mais pas n’importe laquelle : l’Irlande des polars, celle que j’ai découverte au cours de mon voyage de l’été 2014.
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Trois écrivains en quête d’histoire

 Première halte à Belfast, dans le nord du pays, chez Sam Millar pour comprendre l’âme de cette île déchirée par 30 ans de guerre civile meurtrière entre républicains catholiques et loyalistes protestants (« unionistes » car voulant rester dans le Royaume-Uni).
L’auteur sait de quoi il parle puisqu’il a passé 20 ans de sa vie en prison pour activisme au sein de l’IRA.
De fait, On the brinks,  le spectaculaire récit autobiographique de Sam Millar a tout d’un thriller. À ceci près que si on lisait pareilles choses dans un roman, on les trouverait bien peu crédibles.
Son polar Les chiens de Belfast constitue le premier volet de la trilogie de Karl Kane, un détective privé confronté à des meurtres ignobles et à la brutalité de quelques « chiens sauvages » censés faire régner la loi.
Belfast et son passé tourmenté ont également inspiré Stuart Neville, un ancien webdesigner devenu romancier, qui décrit avec une force surprenante, dans sa trilogie (Les Fantômes de Belfast, Collusion, Les Ames volées), une société traversée par un siècle de violences.
Nous y faisons la connaissance avec l’ancien tueur de l’IRA, Gerry Fegan qui, dans Les fantômes de Belfast (le premier volet), était hanté par douze ombres qui le torturent en réclamant vengeance, et pour cause : Gerry avait été chargé de les liquider, il doit désormais tuer ses anciens compagnons de combat qui sont devenus en majorité des politiciens pourris, dans une Irlande où la paix est toujours si fragile malgré l’accord du 10 avril 1998. Balade lyrique et rédemption meurtrière, amour maudit (Fegan tombe amoureux de Marie, la fille d’un ennemi), le tout servi par une écriture noire et lumineuse.

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Peinture murale de Bobby Sands à Belfast


Continuons, à présent, un peu plus vers le nord, vers Carrickfergus (la plus vieille ville du Comté d’Antrim).Pour Sean Duffy, le héros de Adrian McKinty, il ne fait pas non plus bon être flic catholique dans la banlieue protestante de Belfast : Une terre si froide se situe en 1981, la ville est en ébullition juste après la mort de Bobby Sands, un républicain irlandais, membre de l’IRA provisoire, mort après une grève de la faim de 66 jours dans la prison de Maze en Irlande du Nord. Quand on retrouve les cadavres de deux homosexuels notoires, l’enquête s’avère délicate dans un contexte politique et social plus que tendu : les enjeux politiques se dissimuleraient-ils donc sous l’apparent mobile de l’orientation sexuelle ? Troubles en toile de fond, bonne musique, Guinness, aventures amoureuses et humour noir garantis, en bref le parfait polar irlandais !

Pour tordre le cou aux clichés

Mais quittons enfin les tensions de Belfast pour rejoindre la Chaussée des géants, une impressionnante curiosité naturelle inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, nichée sur la côte nord et constituée de 40 000 colonnes prismatiques de basalte.

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La chaussée des géants sous la pluie, ce jour là.


Nous aurions pu nous y rendre en bibliobus en compagnie du détective bibliothécaire Israël Armstrong et de son auteur le britannique Ian Sansom, dont il a déjà été question dans un précédent billet. Le mystère des livres disparus est le premier titre d’une série dont la suite des aventures décapantes de notre détective amateur paraîtra en avril.
 
 
 

L’antihéros par excellence

En route, à présent, pour le comté de Connacht où, après avoir traversé les sublimes paysages du Connemara nous arrivons à Galway où nous avons rendez-vous avec celui qui est sans doute l’un des écrivains de polar les plus connus en Irlande : Ken Bruen. Son personnage fétiche Jack Taylor est détective privé à Galway. Il s’est fait renvoyer de la Garda Síochána, la police irlandaise, à cause de son goût trop prononcé pour l’alcool. Jack est aussi célèbre que ses cuites (pintes de Guinness et whiskeys bien secs écumés dans les pubs de Galway, ambiance garantie !), ses enquêtes sont aussi « hors-normes » que le personnage. Violence et tabous y ont la belle part, et on explore là encore la noirceur de l’âme humaine.
 

Le Maigret irlandais

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Le superbe paysage des falaises de Moher.


Poursuivons notre ballade vers un autre lieu emblématique et sauvage de l’Irlande : les falaises de Moher où nous suivrons avec attention l’enquête du commissaire divisionnaire McGarr. McGarr, personnage créé par l’irlando-américain Bartholomew Gill (alias Mark Mc Garrity, décédé en 2002) est un dublinois de 49 ans marié à Noreen, de vingt ans sa cadette, un homme opiniâtre, ennemi des compromissions, que les illusions et l’insouciance de la jeunesse ont fui depuis longtemps, parfois en proie au doute et au découragement, et dont les convictions sont fréquemment soumises à rude épreuve – ainsi que ses sympathies pour l’I.R.A.
Comme dans la plupart des enquêtes de McGarr, on retrouve ici l’ambiance irlandaise entre whiskey, brume et IRA.

Le double noir

Le voyage s’achève à Dublin, ville littéraire par excellence, patrie de Joyce et de Beckett. C’est ici que le grand écrivain irlandais John Banville a choisi de situer ses romans policiers  sous le pseudonyme de Benjamin Black. Sa série met en scène Quirke, un médecin légiste aussi séduisant que désabusé  (d’où un net penchant pour la bouteille) qui œuvre dans le Dublin des années 50.

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Le Oliver John Gogarty’s pub, qui sert un excellent fish and chips


Magistrale description du Dublin de cette époque avec le poids de l’église et de ses bien-pensants,  ultra-catholique et pudibonde ; on a l’impression de sentir la fumée de cigarette dans le McGonagle’s Pub, pub favori de Quirke.
Reste à espérer que ce voyage littéraire vous a donné envie, si ce n’est de vous rendre en Irlande, du moins de lire un de ces excellents polars irlandais.
En attendant, faites comme moi et dégustez une bonne pinte de Guiness pour la St Patrick :

Sláinte !