Dans le cadre de la présidence du Conseil de l’Europe par l’Allemagne et à l’occasion du 250e anniversaire de l’arrivée de Johann Wolfgang Goethe à Strasbourg, le Cabinet des Estampes et des Dessins , en partenariat avec la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg présentent une exposition soulignant l’importance capitale du séjour strasbourgeois dans la vie et l’œuvre du célèbre penseur allemand.
En attendant la réouverture des musées permettant de découvrir cette exposition, voici un focus sur l’influence de la capitale alsacienne dans l’œuvre littéraire de Johann Wolfgang Goethe.

Entre avril 1770 et août 1771, le jeune Goethe, alors âgé de 21 ans, séjourne à Strasbourg. L’objectif que lui fixe son père est de terminer ses études de droit, mais également de découvrir la vie à la française et d’apprendre la langue. Cette année en Alsace sera riche et déterminante pour Goethe, puisqu’il va rencontrer de grandes figures intellectuelles qui vont influencer sa manière de penser et inspirer ses œuvres à venir.

Des poèmes romantiques nourris par une idylle

On connaît Goethe penseur, homme politique, écrivain et féru de sciences mais saviez-vous que le célèbre auteur allemand fut aussi un jeune homme sentimental et romantique ? Lors d’une excursion dans la campagne alsacienne en 1770, il tomba sous le charme d’une jeune femme, Frédérique Brion, fille du pasteur de Sessenheim, qui lui inspira l’écriture de plusieurs poèmes dont Bienvenue et Adieu (Willkommen und Abschied) et La Rose de la lande (Heidenröslein). Dans ces magnifiques poèmes, Goethe dépeint ses sentiments tout en sublimant la nature qui l’entoure. Il participa fortement au mouvement d’émancipation de la poésie qui eut lieu dans le dernier quart du dix-huitième siècle.

 

Un garçon vit une rose
Sur la lande, un jour,
Si belle, si fraîche éclose !
Plus près il accourt.
Que sa joie est grande !
Rose, rose, rose rouge,
Rose de la lande

Il dit : « Je te cueillerai,
Rose de la lande. »
« Et moi, je te piquerai.
Jamais je ne souffrirai
Ce que tu demandes ! »
Rose, rose, rose rouge,
Rose de la lande.

Le garçon brutal cueillit
Rose de la lande
Qui le piqua, mais souffrit
Son sort ; à rien ne servit
Qu’elle se défend.
Rose, rose, rose rouge,
Rose de la lande.

La rose de la lande . Extrait de Ballades et autres pèmes /Goethe. – Aubier, 1996 (Edition bilingue) (p 186 – 187)

 

Mon cœur battait fort, vite en selle!
Et, sitôt, j’étais à cheval
Le soir déjà berçait la terre
La nuit pendait aux montagnes.
Déjà, le chêne avait son costume de brume,
Tour gigantesque dressée, là,
Dans la broussaille ténébreuse,
Où m’observaient cent regards noirs.

La lune au sommet d’un  nuage
Passait un regard langoureux,
Les vents à lents frottement d’ailes
Sifflaient, lugubres, à mes oreilles.
La nuit façonnait mille monstres.
Pourtant, j’étais joyeux et gai.
Ô, la fournaise dans mes veines !

Ô, la braise ardente en mon cœur.

Je t’ai vue, et la joie si tendre
De tes doux yeux m’a inondé ;
Tout mon coeur était près du tien,
Et tous mes souffles étaient pour toi.
Une rose aurore de printemps
Nimbait le visage charmant,
Et la tendresse –  ô Dieu – pour moi!
Je l’espérais,  mais sans la mériter!

Las, dès le soleil du matin,
Les adieux m’étreignaient le cœur :
Quelle extase dans tes baisers !
Et dans ton regard, quelle douleur!
Je suis parti, tu es restée,  les yeux baissés
Et tu m’as suivi, les yeux baignés de larmes,
Quel bonheur, pourtant, d’être aimé!
Et d’aimer, ô dieux, quel bonheur!

Goethe, 6 janvier 1771

Bienvenue et adieu Anthologie bilingue de la poésie allemande / Traduit de l’allemand  par Jean-Pierre Lefebvre . – Editions Gallimard (La Pléiade), 1995  

 

La rencontre avec Herder et l’émergence du « Sturm und Drang »

Ce séjour dans la capitale alsacienne est l’occasion pour le jeune Goethe de rencontrer des figures intellectuelles de renom qui vont accompagner et encourager son évolution. Strasbourg est à cette époque une ville carrefour entre les cultures française et allemande. Il s’y développe de nombreux cercles étudiants et sociétés littéraires où se mêlent les professeurs d’université comme Jean-Daniel Schoepflin ou Jacques Reinhold ainsi que les jeunes esprits brillants comme Jung-Stilling…et Goethe bien sûr.

Sa rencontre avec le poète et philosophe Johann Gottfried Herder est probablement la plus décisive, tant ce dernier a encouragé des idées nouvelles pour le jeune auteur, lui recommandant de lire Shakespeare et exaltant la poésie des peuples primitifs et donc les chants et écrits populaires. Tous deux vont ainsi participer au « Sturm und Drang », un mouvement littéraire préromantique en réaction à celui des Lumières qui a pour valeur centrale la liberté, refusant les conventions sociales et morales qui brident l’épanouissement de la personne.

Les souffrances du jeune Werther, roman épistolaire publié d’abord anonymement en 1774, est considéré comme une des œuvres majeures du « Sturm und Drang« . C’est le premier roman de Goethe, le récit d’un amour impossible où les actions du protagoniste sont déterminées par ses sentiments. Une œuvre sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte qui rencontra un grand succès mais suscita aussi la polémique, l’auteur allemand y abordant le thème du suicide, tabou à l’époque. Ce roman eut beaucoup d’influence dans le monde littéraire et fut aussi à l’origine du romantisme en France.

Goethe est l’auteur de nombreux recueils de poésies, de pièces de théâtre (Faust I et II, Clavigo… ), de nouvelles, de romans (Les affinités électives) et même de récits épiques (Voyage en Italie). Son œuvre littéraire le rattache au Sturm und Drang ainsi qu’au classicisme de Weimar. Il s’intéressa aussi aux sciences, à la politique et à la philosophie. Il fut et reste une figure marquante de la littérature allemande et européenne.

Vous pouvez retrouver les œuvres de Goethe au sein des médiathèques et prochainement, le catalogue de l’exposition sera disponible à la médiathèque Malraux.

En attendant de visiter cette exposition au palais Rohan, les musées de Strasbourg vous propose de regarder la visite virtuelle de l’exposition !