En cet été fort en événements de la Terre du Milieu (exposition et sortie du très attendu Beren and Lúthien, dernière édition des œuvres du père publiée par Christopher Tolkien, désormais âgé de 94 ans), parlons un peu des autres talents de ce cher Ronald.
Il est évidemment connu pour ses romans phares, Le Hobbit (1937) et Le Seigneur des Anneaux (1954), ce dernier ayant eu droit en français à une petite mise à jour avec la traduction de Daniel Lauzon éditée chez Christian Bourgois en novembre dernier. Il est aussi connu pour son rôle de père de la Fantasy (pour plus d’info lisez l’ouvrage de François Ruaud)
Mais saviez-vous qu’il était poète et peintre ? Qu’il était cartographe et philologue ? Qu’il était spécialiste de langue et littérature anglaise ?  Il est à l’origine d’un univers total, un microcosme littéraire. Il propose une chronologie avec la création initiale et des récits qui évoluent puis sont transmis à travers les époques et pour ce faire il passe par les mots mais pas que.

De la création d’une véritable cosmogonie…

La création a donné lieu au Silmarillion, c’est là que sont énoncés les tout débuts avec la naissance des créateurs et celle de l’univers grâce au chant, celle d’Arda, la terre, grâce aux pouvoirs qui sont donnés aux créateurs. Puis, le premier conflit arrive rapidement, il s’agit d’une lutte entre les premières créatures, l’une d’entre elle, souhaitant prendre le pouvoir sur les autres et créer individuellement. Ensuite, naissent les Elfes puis les Nains, plus tard les Hommes et bien plus tard, les Hobbits (notamment). Il a donc imaginé le moment initial, un passé mythique où le divin côtoie encore sa création avec les différents récits propres à cette époque.

… à l’invention d’une temporalité complète…

 Tolkien est aussi un historien dans ce sens : partant de cette invention initiale, il invente trois grandes périodes : la première est celle des Deux Lampes, la seconde est celle des Deux Arbres et la troisième est celle que nous connaissons mieux : l’époque de la Lune et du Soleil au sein desquels plus de 7 âges se déroulent (NB : Le Hobbit et Le SdA se déroulent au 3ème âge de cette période).

… en passant par la formation d’une tradition littéraire…

Et sur quoi se base-t-il pour faire « découvrir » ces périodes à son lecteur ? Sur des textes principalement, des archives retrouvées à Rivendell (Fondcombe ou Fendeval en français) par exemple ou chez Saruman.  Le truc fou chez Tolkien c’est qu’il a réussi à intégrer la philologie à son univers. C’est-à-dire qu’il a inventé une douzaine de langues viables pour son univers et qu’il les a fait évoluer au fil des âges qu’il a lui-même inventés. Ensuite, de ces langues, il a inventé une littérature écrite que le lecteur peut découvrir littéralement dans ses récits : les archives des Hobbits, les archives des Elfes, les archives des Nains, etc… et une littérature orale : grâce à des personnages passeurs tels que Treebeard (Sylvebarbe, Barbebois en français) qui traversent les siècles faisant office de témoins d’un temps ancestral. Mais ces écrits sont fragmentaires et dispersés ou sous différentes formes dans ses œuvres. Pour avoir l’histoire complète de son Légendaire, il faut tout lire.

… et le développement des autres arts au service de cette tradition

Mais pas seulement, il a créé des supports visuels pour agrémenter son œuvre (et pour éviter de s’y perdre lui-même) c’est ainsi qu’on retrouve des illustrations, des cartes, des calligraphies de son univers. Si vous souhaitez découvrir son univers visuel n’hésitez pas à emprunter J. R. R. Tolkien : artiste et illustrateur de Wayne G. Hammond et Christina Scull. La calligraphie « tengwar » des elfes est utilisée pour mettre sous forme écrite le poème de l’anneau en « noir parler » de Sauron, la calligraphie « cirth » met à l’écrit le parler nain…

Des cultures propres à chaque peuple

Tolkien a écrit dans différents styles selon les peuples et les périodes :
Les Premiers Nés ne parlaient pas le même elfique que celui du Seigneur des Anneaux par exemple. D’autre part, l’elfique de Legolas n’est pas le même que celui d’Elrond car ils ne sont pas du même pays. Et leur langue a en réalité évolué ou été engendrée par une langue commune plus ancienne (le quenya antique) à l’image du latin qui est l’ancêtre du français, de l’italien ou de l’espagnol.
Il a aussi utilisé différents genres : le roman est le plus largement répandu mais peut-être connaissez-vous Les Lais du Beleriand ? Un recueil de poèmes narratifs dont la première partie est en vers allitératifs (ce sont des poèmes faisant écho à une forme poétique vieil-anglaise que l’on retrouve dans des textes comme Beowulf, une œuvre bien connue de Tolkien) ou encore la chanson de geste avec « Narn î hin Húrin »: l’histoire des enfants de Húrin, un récit qui partage la même forme que le récit de Tristan et Iseult par exemple : la chanson de geste.
Chacun de ces genres offrent une réception différente auprès du lecteur car lire un poème en poésie allitérative est bien loin du récit en prose de Bilbo pourtant les deux sont liés par ce monde et par l’art de la plume de Tolkien.

Des traditions propres à chaque époque…

Chaque récit fait partie d’un tout mais possède sa particularité qui permet de refléter l’époque dans laquelle se situe son intrigue. On retrouve par exemple des fragments en poésie allitérative dans Le Seigneur des Anneaux, mais aussi des poèmes en ancien elfique ou en elfique « moderne », des chansons hobbit, un vers en noir parler (le langage de Sauron) etc… tous ces passages contrastent par rapport au langage du roman suggérant des pistes à découvrir au lecteur qui se prend au jeu.

… et des liens  entre ces époques

De plus, tout n’est pas complet, il y a des archives fragmentaires et c’est là que le lecteur doit mettre sa casquette de philologue pour retrouver les textes et faire le lien entre les différents personnages. Tolkien a laissé des pistes. C’est à la fois volontaire : il dit dans une de ses lettres qu’il souhaitait laisser le champ libre à d’autres esprits ; et involontaire : il fut un impitoyable perfectionniste tout en n’étant pas rigoureusement organisé. Ainsi, on retrouve encore actuellement des manuscrits, tapuscrits et autres brouillons ; ce qui reste de son œuvre encore non publiée est probablement aussi important que ce qui est déjà édité. Il a donc inventé une tradition littéraire et artistique transmise à travers les époques.

Qu’est-ce qui fonde un monde pour Tolkien ? Le langage, les peuples, la temporalité et les récits

L’image de l’arbre sera toujours une bonne métaphore pour concevoir son univers, les racines sont ses propres lectures dans lesquelles il puise pour créer un tronc fort et puissant, celui-ci représente son œuvre, son « Légendaire » et toutes les branches découlent de ce tronc, une branche s’occupe de l’histoire de Númenor, une autre de celle de Gondolin, une feuille retrace celle de Bilbo, une autre celle de Frodo, etc… Certaines parties de l’arbre peuvent se lire seules mais elles seront toujours rattachées à l’ensemble par ce seul lien : le langage.
Tolkien est un inventeur et un artiste dans les sens les plus larges, c’est un auteur qui laisse la place de créateur à ses personnages :  il disait souvent qu’il découvrait ses récits au fil de la plume et qu’un nom faisait toujours naître en lui une histoire. L’essentiel est donc le langage et ses différentes déclinaisons : du nom au vers en passant par l’invention de langues complètes, par l’illustration, la cartographie ou encore la calligraphie. Tous ces « langages » racontent avec leurs outils l’histoire de la Terre du Milieu.

Venez découvrir ou redécouvrir l’œuvre de Tolkien ? Les médiathèques de l’Eurométropole possèdent tous ses livres 😉 (édités en français et en anglais), il n’est jamais trop tard pour commencer le voyage…
Par Maud L.