La saison des prix littéraires arrive bientôt à sa fin. Les avez-vous suivis de près, les avez-vous subis, les avez-vous ignorés ? Quelques prix célèbrent la littérature étrangère, penchons -nous sur trois auteurs primés cet automne : amour et politique, famille et migrations, et une incontournable de la rentrée littéraire… à tous trois je tire mon chapeau !

Ahmet Altan, amour et politique (Turquie)

Ahmet Altan, né à Ankara en 1, est un écrivain et essayiste turc, fondateur du quotidien d’opposition Taraf, le premier partenaire turc de WikiLeaks. Accusé d’avoir indirectement participé au coup d’Etat raté du 15 Juillet 2016, il a été incarcéré à Istanbul pendant quatre ans et sept mois. La cour de cassation a finalement annulé sa condamnation et il a été libéré le 15 avril dernier. Il s’est notamment fait connaître en dehors de la Turquie par son récit de sa vie en prison, Je ne reverrai plus le monde  publié en France en 2019 aux éditions Actes Sud (Prix André Malraux 2019, catégorie fiction engagée).

Son dernier roman, Madame Hayat, a marqué la rentrée et s’est vu décerner le prix Transfuge du meilleur roman européen – le magazine Transfuge a ouvert la saison des prix littéraires d’automne – et Fémina étranger plus récemment. « Madame Hayat » a également été écrit en prison, mais ce n’est pas un pamphlet. C’est une fable magnifique, qui conjugue le récit d’une éducation sentimentale et d’une prise de conscience politique. Dans une ville où règne l’effroi, l’histoire de la passion amoureuse de Fazil pour madame Hayat, une femme voluptueuse d’âge mûr. Un roman sur les pouvoirs de l’imaginaire dans lequel la littérature se révèle vitale. Amour, passion, complot, pouvoirs, cadre historique étaient également les ingrédients magistralement combinés des deux précédents romans d’Ahmet Altan traduits en français.

Jonas Hassen Khemiri, héritages familiaux et migrations (Suède)

Les éditions Actes sud sont décidément à l’honneur cette année. On les connaît depuis longtemps pour leurs traductions de littératures scandinaves (entre autres). Et voici La clause paternelle de Jonas Hassen Khemiri, lauréat du prix Médicis étrangerNé à Stockholm en 1978, d’un père tunisien et d’une mère suédoise, Jonas Hassen Khemiri a grandi à Stockholm, à Paris et à New York. Il est considéré comme l’un des écrivains les plus importants de sa génération. Auteur de cinq romans et de nombreuses pièces de théâtre montées à travers le monde, il a été récompensé par une série de prix prestigieux, dont le prix Per Olov Enquist 2007, le prix Ibsen 2011 et le prix August – le « Goncourt suédois » – 2015. La Clause paternelle était finaliste du National Book Award 2020 lors de sa parution aux États-Unis.

Deux fois par an, un grand-père revient en Suède voir ses enfants, désormais adultes, lors de visites qui semblent moins motivées par l’amour qu’il porte à sa progéniture que par l’opportunisme et la nécessité. En effet, ces passages réguliers lui permettent de conserver son titre de séjour. Dépeignant l’inexorabilité des liens familiaux avec poésie, étrangeté et humour, Jonas Hassen Khemiri dresse le portrait intime d’une famille chaotique et parfaitement ordinaire. « Jonas Hassen Khemiri creuse de façon rare un univers personnel où la langue et l’écriture sont au service d’une recherche sur la nature de l’individu contemporain, révélée au prisme d’une histoire en mouvement, dans laquelle l’immigration et la mondialisation sont les ferments d’un trouble de l’identité. » (Ed. théâtrales).

 

Amélie Nothomb, autobiographie et humour (Belgique)

On ne présente plus Amélie Nothomb, qui s’est vue décerner le Renaudot 2021 pour Premier sang (Albin Michel). Pour mieux connaître cette romancière belge d’expression française née en à Etterbeek, je vous invite à feuiller La bouche des carpes, une série d’entretiens dans lesquels l’écrivaine évoque sa vie, la création littéraire, l’Europe, la Chine et le Japon et ce qui fait sens pour elle. Certains de ses écrits primés sont traduits dans plus de quarante langues à travers le monde et elle est membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique depuis 2015.

« Chez cet écrivain, une forme de cruauté et d’humour se mêle à un romantisme qui plonge dans l’univers actuel » (Anthologie de la littérature française de Belgique, entre réel et surréel). Les romans d’Amélie Nothomb empruntent à des registres variés, avec une grand part de contenu autobiographique. Dans Premier sang, elle rend hommage à son père décédé pendant le premier confinement imposé durant la pandémie de Covid-19, avec pour point de départ un événement traumatisant de la vie du défunt pour se plonger dans ses souvenirs d’enfance. Alors qu’il est militaire et négocie la libération des otages de Stanleyville au Congo, Patrick Nothomb se retrouve confronté de près à la mort.

 

Les prix littéraires concentrent peut-être l’attention sur la partie visible de l’iceberg des milliers d’auteurs qui écrivent en Europe, mais au moins donnent, plus largement, l’envie de lire et de s’intéresser à la vie littéraire de nos voisins – à la vie tout court ? A titre de curiosité, la Fédération des associations européennes d’écrivains a réalisé une étude sur l’effet de la crise sanitaire sur les auteurs européens dans un contexte éditorial chamboulé. Dans 20 pays au moins, 54 % des éditeurs ont réduit leur programme de parution de 10 à 50 % : les textes traduits, la fiction, le théâtre et les jeunes auteurs ont été particulièrement touchés par ce phénomène, relève la fédération. Heureusement la France absorbe mieux que d’autres la baisse de traductions : elle part de plus haut, puisque c’est l’un des pays où l’on traduit le plus au monde.